Ingérences étrangères : l'Assemblée lance des débats tendus, en pleine campagne européenne

L'Assemblée nationale en séance, le 30 janvier 2024 à Paris

By Sami ACEF

Paris (AFP) - Registre pour les agents étrangers qui pratiquent du lobbying, renforcement des prérogatives des services de renseignement : les députés ont lancé mardi l'examen d'un texte macroniste contre les ingérences étrangères, dans un climat parfois tendu sur fond de campagne européenne.

"Il en va de la protection de notre souveraineté, de nos valeurs démocratiques et libérales, de la protection des intérêts de la Nation", a souligné Sacha Houlié, président Renaissance de la commission des Lois et rapporteur du texte, en ouvrant les débats.

En pleine campagne pour les élections européennes, les échanges ont été émaillés d'invectives entre le camp présidentiel et les oppositions, dans un climat parfois tendu.

Le député RN Jean-Philippe Tanguy a fustigé à la tribune un "cynisme électoral" ayant conduit, selon lui, à la présentation de ce texte. Sacha Houlié a dénoncé en retour un "délire mégalomane et égocentrique", "pour se dédouaner" de liens avec la Russie.

Comme le RN, Ian Boucard (LR) a critiqué un manque d'ambition et accusé la majorité de se servir du texte pour instaurer une "illusion de duel avec le Rassemblement national".

En début de soirée, les députés ont adopté le premier article du texte, qui impose aux représentants d'intérêts étrangers qui font du lobbying en France de s'inscrire sur un registre national public, géré par la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP), avec un régime de sanctions pénales pour les contrevenants.

Seraient visées les "personnes physiques ou morales" qui, pour "promouvoir les intérêts" d'un "mandant étranger", tentent de peser sur les processus législatifs, de réaliser des actions de communication, ou de collecter ou verser des fonds.

Les "mandants étrangers" qui seraient considérés comme des commanditaires potentiels sont les "puissances étrangères" à l'exception de celles de l'UE, les entreprises détenues ou financées au moins pour moitié par une puissance étrangère, et les partis politiques étrangers.

A contrario certaines catégories sont exemptées de figurer sur le registre mais la liste a longuement fait débat. La gauche espérait davantage de garde-fous pour les journalistes, les partis étrangers d'opposition ou les ONG.

Mais seuls le personnel diplomatique et consulaire et les membres et agents d'un État étranger seraient finalement dispensés.

La question des avocats a également agité les débats. "L'activité contentieuse des avocats n'est pas prévue dans les activités visées", a assuré M. Houlié, même s'ils devront s'inscrire sur le registre si jamais ils opèrent une activité d'influence en-dehors de leur exercice.

\- algorithmes de la discorde -

Des députés Renaissance ont par ailleurs fait adopter un amendement pour contraindre les "think tanks" à déclarer les dons et versements venus de l'étranger.

Les débats se se sont poursuivis par l'examen de l'article phare.

Celui-ci prévoit d'élargir un dispositif de surveillance algorithmique lancé en 2015, destiné à repérer des données de connexions sur internet, aujourd'hui circonscrit à la lutte antiterroriste, mais pour laquelle l'intérêt semble toutefois limité, selon M. Houlié. Les modes d'action des ingérences seront quant à eux plus facilement identifiables, plaide-t-il.

"C'est un texte scélérat parce que, sous couvert de lutte contre les ingérences étrangères, il vise à aggraver la surveillance généralisée" et "personne ne sait comment fonctionnent ces algorithmes", a dénoncé le député LFI Bastien Lachaud. Mais sa motion de rejet au texte a été largement repoussée par 182 voix contre 34.

La proposition de loi prévoit une expérimentation de quatre ans, durant laquelle les services de renseignement pourraient y recourir au titre de "l'indépendance nationale", "l'intégrité du territoire et la défense nationale", des "intérêts majeurs de la politique étrangère", de "l'exécution des engagements européens et internationaux de la France" et de la lutte contre les ingérences.

Un périmètre large, qui inquiète à gauche, où la majorité espère grappiller des voix écologistes et socialistes : "je plaide pour limiter strictement la question aux ingérences étrangères lorsque les intérêts fondamentaux de la Nation sont en jeu", souligne l'écologiste Jérémie Iordanoff, qui oscille entre "vote pour et abstention".

"On est toujours dans la même configuration, on commence par l'antiterrorisme qui sert de cheval de Troie, et puis ça fait tache d'huile", fustige le député LFI Aurélien Saintoul.

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