Nouvelle-Calédonie: une réforme sensible à l'Assemblée, de vives tensions dans l'archipel

Rassemblement de partisans indépendantistes à Nouméa, le 13 mai 2024 en Nouvelle-Calédonie

By Antoine MAIGNAN

Paris (AFP) - A 17.000 kilomètres de Nouméa, l'Assemblée nationale a démarré lundi l'examen d'une révision constitutionnelle visant à élargir le corps électoral propre au scrutin provincial de l'archipel, un point sensible qui cause de vives tensions sur place entre loyalistes et indépendantistes.

Véhicules incendiés, pillages, barrages filtrants, interpellations... Sur le Caillou, des violences ont émaillé la journée et la soirée de lundi, alors que s'ouvraient les débats à Paris.

Le ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin a appelé les députés à adopter sans modification cette réforme, qui ouvre le scrutin provincial calédonien aux résidents installés depuis au moins dix ans sur l'île.

Ce n'est "pas seulement une volonté politique, mais une obligation morale pour ceux qui croient à la démocratie", a expliqué le locataire de Beauvau, avant un vote solennel mardi, sans grand suspense pour un camp présidentiel soutenu par la droite et l'extrême droite sur ce projet.

Après celle du Sénat, l'approbation de l'Assemblée est nécessaire pour faire cheminer ce texte, avant de réunir le Parlement en Congrès pour réviser la Constitution, à une date qui reste à fixer.

Prônant l'apaisement, Emmanuel Macron a promis dimanche de ne pas convoquer le Congrès "dans la foulée" du vote de l'Assemblée, selon son entourage, pour "privilégier le dialogue".

\- "Main tendue" -

Toujours en quête d'un accord institutionnel global, M. Darmanin a assuré que les parties prenantes locales seront invitées "rapidement" à Paris pour "discuter autour du Premier ministre, autour du gouvernement". Mais cette "main tendue" de l'exécutif est pour le moment "refusée" par le camp indépendantiste, selon lui.

Derrière ce texte de loi assez technique se joue une grande partie de l'avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie, comme en témoignent les tensions croissantes sur l'île.

Deux camps s'opposent. Celui des non-indépendantistes, favorables à la réforme, et celui des indépendantistes qui y voient au contraire un passage en force de l'Etat pour "minoriser encore plus le peuple autochtone kanak".

Lundi soir, la mobilisation a franchi un nouveau cap, avec plusieurs sites en proie aux flammes et des affrontements entre forces de l'ordre et jeunes manifestants masqués, a constaté l'AFP. Au moins 20 interpellations ont eu lieu de source policière, et 30 gendarmes ont été blessés selon la gendarmerie.

Trois anciens Premiers ministres, Jean-Marc Ayrault, Edouard Philippe et Manuel Valls, ont plaidé ces derniers jours pour que Gabriel Attal reprenne la main sur ce dossier sensible, historiquement piloté par Matignon.

Une mise en garde partagée par une partie de l'opposition: "L'Etat doit retrouver son rôle d'intermédiaire impartial en lançant, sous la responsabilité du Premier ministre, une nouvelle mission de dialogue", a demandé le député socialiste Arthur Delaporte avant de défendre une motion de rejet préalable du texte, largement écartée.

La France insoumise a également exhorté le gouvernement de "cesser d'attiser les tensions qui fracturent la population", redoutant une "véritable bombe contre la paix civile".

\- RN et LR en soutien -

Lors d'une séance parfois houleuse, Gérald Darmanin a dénoncé "l'attitude irresponsable" du mouvement de Jean-Luc Mélenchon en l'accusant de "jouer l'obstruction", alors que de nombreux amendements sans lien avec le texte allaient être examinés en fin de soirée.

Prévu à ce stade au plus tard le 15 décembre, le scrutin provincial est essentiel sur l'archipel où les trois provinces détiennent une grande partie des compétences.

Etabli en 1998 par l'accord de Nouméa, le corps électoral y est gelé, ce qui a pour conséquence, 25 ans plus tard, de priver de droit de vote près d'un électeur sur cinq. "La situation actuelle mène à l'absurde, à la voie antidémocratique", a martelé le ministre de l'Intérieur qui défend le passage à un corps électoral "glissant".

Au Sénat, un mécanisme a été ajouté pour permettre la suspension de cette réforme constitutionnelle si un accord local survient jusqu'à 10 jours avant les prochaines élections provinciales.

Ce compromis rédactionnel, qui convient au gouvernement, a également reçu l'aval du Rassemblement national. "Le dégel du corps électoral est un impératif pour garantir une démocratie authentique et représentative en Nouvelle-Calédonie", s'est satisfait le député RN Yoann Gillet.

Quant aux Républicains, ils ont aussi soutenu le texte, mais leur chef de file Olivier Marleix a appelé l'exécutif à "réunir le Congrès sans tergiverser".

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