L'UE achève sa réforme des règles en matière d'immigration, malgré le vote négatif de la Pologne et de la Hongrie

Le nouveau pacte sur les migrations et l'asile prévoit, entre autres, de nouvelles règles pour accélérer les procédures aux frontières. ©AP/AP

C'est la fin d'un très long parcours qui s'est terminé mardi matin, lorsque les États membres se sont réunis pour donner le feu vert définitif aux cinq règlements qui composent le nouveau pacte sur la migration et l'asile, une révision complète qui vise à garantir que tous les pays, quelle que soit leur situation géographique, assument leur part de responsabilité.

Le nouveau dispositif prévoit notamment des règles plus strictes lors de l'analyse des demandeurs d'asile, des contrôles de santé et de sécurité, accélérer les procédures d'examen et fournir des conseils gratuits. Sa principale nouveauté est un système de solidarité obligatoire qui donnerait aux gouvernements trois options pour gérer les demandeurs d'asile : relocaliser un certain nombre d'entre eux, payer 20 000 euros pour chaque demandeur rejeté ou financer un soutien opérationnel.

L'objectif initial est de relocaliser 30 000 personnes par an.

Comme attendu, la Pologne et la Hongrie ont voté contre l'ensemble du paquet législatif. Depuis que la réforme a été présentée en 2020, les deux pays se sont toujours opposés au système de solidarité obligatoire. Ils assurent que ce dispositif les forcerait à accepter des migrants contre leur gré.

La République tchèque et la Slovaquie, sceptiques, ont choisi de s'abstenir dans la majorité des dossiers, tandis que l'Autriche a voté contre le règlement de crise.

Mais le nouveau pacte n'avait besoin que d'une majorité qualifiée, il a donc été officiellement ratifié, scellant ainsi l'une des plus grandes réalisations de l'actuel mandat.

Pour l'Union, cette issue a été difficile : l'idée de disposer d'un règlement commun et prévisible pour gérer les arrivées irrégulières de demandeurs d'asile est sur la table depuis la crise migratoire de 2015-2016.

Les États membres du sud ont affirmé ne pas pouvoir répondre aux arrivées massives et regrettent de ne pas avoir été suffisamment soutenus par leurs partenaires. Les pays occidentaux et septentrionaux ont exigé un renforcement de la responsabilité et des contrôles aux frontières extérieures, tandis que les États orientaux se sont opposés à toute initiative s'apparentant à un quota de relocalisation.

Les forces d'extrême droite ont saisi leur chance et se sont emparées du sujet et s'en servent comme d'un tremplin pour les élections européennes. Les sondages prédisent un net virage à droite.

Les Etats membres ont surmonté leurs différences et ont progressivement débloqué les cinq pièces du nouveau pacte tout au long de l'année 2023, pour parvenir en décembre à un accord provisoire avec le Parlement.

L'accord, qualifié d'"historique", a été approuvé de justesse par les eurodéputés en avril, à l'issue d'un débat houleux qui a mis à nu les divergences qui restent en suspens : les forces politiques de droite estiment que la réforme est trop souple et trop indulgente, tandis que la gauche l'a juge trop sévère et trop punitive.

Les organisations humanitaires sont également divisées. Amnesty International dénonce le nouveau pacte, qui dégraderait la qualité de la procédure d'asile et conduirait à "une plus grande souffrance". Pour Oxfam il représente une "lueur d'espoir" qui pourrait fournir une approche coordonnée.

"Ce paquet va très loin", a souligné Roberta Metsola, présidente du Parlement européen, "il ne résoudra pas tous les problèmes du jour au lendemain, comme par magie, mais il représente dix pas de géant".

Le vote de mardi au Conseil de l'UE s'est déroulé sans difficulté, sans même un débat.

La seule étape qui reste à franchir pour le nouveau pacte est sa publication au journal officiel de l'UE. Il faudra ensuite deux ans pour qu'il entre pleinement en vigueur.

Le prochain chapitre

Malgré le soulagement ressenti à Bruxelles, le refus de la Pologne et de la Hongrie laisse présager un début difficile pour la suite : la mise en œuvre de la réforme.

La Commission européenne présentera en juin un plan afin d'exposer les éléments juridiques et opérationnels nécessaires à la mise en place du nouveau pacte. Les États membres auront ensuite jusqu'au mois de janvier pour soumettre leurs propres stratégies nationales.

Cet exercice est censé servir d'analyse des lacunes afin d'identifier les ressources nécessaires sur le terrain, telles que la formation, le personnel, l'équipement et les installations.

Les discussions sur la mise en œuvre prendront des mois et pourraient très bien raviver les tensions politiques qui se sont apaisées ces derniers mois, en particulier si les pays du sud exigent un montant que l'UE n'est pas en mesure de débloquer.

Le réexamen du budget approuvé en début d'année par les dirigeants de l'UE prévoit 2 milliards d'euros pour réaliser les ambitions du nouveau pacte jusqu'en 2027. Mais la réserve pourrait s'épuiser rapidement si les gouvernements proposent des projets ambitieux de construction d'infrastructures et d'embauche de personnel.

Une fois les lois entrées en vigueur, l'accent sera mis sur leur application et leur respect. La Pologne et la Hongrie suivront-elles les règles auxquelles elles se sont opposées ?

"Le pacte sur la migration est un nouveau clou dans le cercueil de l'Union européenne. L'unité est morte, les frontières sûres n'existent plus. La Hongrie ne cédera jamais à la frénésie migratoire de masse", a insisté le Premier ministre hongrois, Viktor Orbán, après le vote au Parlement.

Le Premier ministre polonais, Donald Tusk, qui s'est engagé à rétablir les liens entre Varsovie et l'UE après huit années de tensions sous le parti d'ultradroite Droit et Justice (PiS), a maintenu la ligne officielle de son prédécesseur, dénonçant le nouveau pacte comme "inacceptable" pour son pays.

"Nous protégerons la Pologne contre le mécanisme de relocalisation", a rappelé le dirigeant polonais le mois dernier.

Le non-respect des règles constitue une menace majeure pour la réforme, qui a été minutieusement négociée pour garantir que tous les pays contribuent d'une manière ou d'une autre à cet effort. Si les États membres commencent à ignorer les règles, le système de solidarité obligatoire sera rapidement oublié et rendu inefficace, ce qui privera le nouveau pacte de sa pièce maîtresse.

Ylva Johansson, commissaire européenne en chargé des Affaires intérieures, a déjà prévenu que son institution engagerait des poursuites judiciaires contre les pays qui ne suivent pas les règles. Mais cette procédure est lente et peut durer des années avant que la Cour européenne de justice ne rende un arrêt.

Les arrivées de demandeurs d'asile en Europe se poursuivent. En 2023, le nombre de demandes a atteint 1,14 million, un record depuis sept ans.

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