Nouvelle-Calédonie: vaste opération française pour rétablir l'ordre, "quoi qu'il en coûte"

Des habitants font la queue pour acheter des provisions dans un supermarché, à côté des restes incendiés des incidents de la nuit, dans le quartier de Magenta à Nouméa, en Nouvelle Calédonie le 18 mai 2024

By Agnès COUDURIER et Charlotte MANNEVY

Nouméa (AFP) - L'Etat français est passé dimanche à l'offensive en Nouvelle-Calédonie pour tenter de rétablir "l'ordre républicain, quoi qu'il en coûte", et de dégager la route entre Nouméa et l'aéroport international, après six morts en six jours d'émeutes dans son archipel du Pacifique Sud.

La colère des indépendantistes a été provoquée par une réforme du corps électoral, contestée par les représentants du peuple autochtone kanak qui redoutent une réduction de leur poids. Des violences inédites en 40 ans ont fait six morts depuis lundi, deux gendarmes et quatre civils.

"Je veux dire aux émeutiers: stop, retour au calme, rendez vos armes", a déclaré le haut-commissaire de la République, Louis Le Franc, lors d'un point de presse télévisé dans l'île.

"L'ordre républicain sera rétabli, quoi qu'il en coûte", a martelé le représentant de l'Etat. "Les consignes de fermeté sont passées", a abondé depuis Paris le ministre français de l'Intérieur et des Outremer, Gérald Darmanin, dans un message sur X.

Pour reprendre le contrôle d'une situation insurrectionnelle, l'exécutif a donné la priorité au dégagement de la route entre la "capitale" Nouméa et l'aéroport international, à quelque 50 km, fermé aux vols commerciaux.

Sur cet axe, stratégique pour le réapprovisionnement du sud de la grande île soumis à des pénuries, 600 gendarmes ont été déployés dimanche, dont une centaine de membres de l'unité d'élite du GIGN.

Un convoi constitué de blindés de la gendarmerie et d'engins de chantier a parcouru cet axe pour en supprimer les obstacles.

"L'opération de dégagement de la grande route (...) a été un succès: 76 barrages détruits", s'est félicité M. Darmanin dans son tweet.

\- "On a remis le barrage" -

Mais la voie est encore encombrée à de nombreux endroits de carcasses de voitures brûlées, ferraille et bois entassés.

"Ils sont passés, ils ont déblayé, et nous on est resté sur le côté. On est pacifistes", a confié à l'AFP Jean-Charles, la cinquantaine, tête enturbannée d'un foulard et drapeau indépendantiste à la main, à La Tamoa, à quelques kilomètres de l'aéroport.

"Après, une fois qu'ils sont passés, on a remis le barrage", a-t-il assuré. "De toute façon, il est filtrant, (...) sauf la nuit".

Rétablir un accès aérien presse d'autant plus que la Nouvelle-Zélande et l'Australie ont annoncé dimanche avoir demandé à la France de pouvoir poser des avions, pour rapatrier leurs ressortissants.

Samedi, le gouvernement de l'archipel estimait que 3.200 personnes étaient bloquées, sans pouvoir soit le quitter soit le rejoindre.

La crise a fait au total six morts, le dernier en date samedi, un Caldoche (Calédonien d'origine européenne), dans la province Nord.

Les cinq autres sont deux gendarmes, dont un tué par un tir accidentel, et trois Kanak, dans l'agglomération de Nouméa. Au total, "230 émeutiers ont été interpellés", selon l'Etat français.

Reprendre le contrôle devrait être un travail de longue haleine pour les forces de l'ordre, alors que des routes sont toujours coupées, que les dégradations continuent, et que le nombre d'émeutiers est estimé entre 3.000 et 5.000.

"Des écoles ont encore été détruites", de même que "des pharmacies, des centres vitaux d'approvisionnement alimentaire, des surfaces commerciales", a listé dimanche Louis Le Franc, ajoutant: "On commence à manquer de nourriture".

Le haut-commissaire a aussi annoncé de nouvelles "opérations de harcèlement" par les unités d'élite "là où il y a des points durs", notamment Nouméa, Dumbéa et Païta.

"Les jours à venir, ça va s'intensifier" et dans les zones "où il y a encore des émeutiers", il a mis en garde: "s'ils veulent utiliser leurs armes, ils prennent tous les risques".

M. Le Franc a appelé ceux qui ont constitué des "groupes de protection" pour protéger leurs quartiers "à garder espoir" et "à ne pas commettre l'irréparable", qui provoquerait "un embrasement général".

\- "Retrait immédiat" du texte -

Pour la population, se déplacer, acheter des produits de première nécessité et se soigner devient plus difficile chaque jour. Les nombreux obstacles à la circulation compliquent la logistique pour approvisionner les magasins, surtout dans les quartiers les plus défavorisés.

Les mesures exceptionnelles de l'état d'urgence sont maintenues, à savoir le couvre-feu entre 18h00 et 6h00 locales, l'interdiction des rassemblements, du transport d'armes, de la vente d'alcool et le bannissement de l'application TikTok.

La réforme constitutionnelle qui a mis le feu aux poudres vise à élargir le corps électoral des scrutins provinciaux, au risque de marginaliser "encore plus le peuple autochtone kanak", selon les indépendantistes. Elle a été adoptée à Paris par les députés, après les sénateurs, dans la nuit de mardi à mercredi.

Ce texte devra encore être voté par les parlementaires réunis en Congrès, sauf si un accord sur un texte global entre indépendantistes et loyalistes intervient avant.

Les présidents de quatre exécutifs de l'outre-mer français, la Réunion dans l'océan Indien, les îles antillaises de Guadeloupe et de Martinique, et la Guyane en Amérique du Sud, ont demandé dimanche son "retrait immédiat".

"Seule la réponse politique mettra fin à la montée des violences et empêchera la guerre civile", écrivent-ils dans une tribune.

A Paris, la présidente de l'Assemblée, son homologue du Sénat et des parlementaires de tous bords politiques ont demandé vendredi une mission de dialogue pour apaiser la crise.

Mais le consensus semblait moins net sur un report de la date de convocation du Congrès, réclamé dimanche par l'ex-Premier ministre Manuel Valls.

Signe d'une situation qui pourrait durer, le passage de la flamme olympique des JO de Paris, prévu le 11 juin sur l'île, a été annulé.

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