Tags au Mémorial de la Shoah: les enquêteurs sur la piste de trois suspects en fuite à l'étranger

Des mains rouges taguées sur le Mur des Justes au Mémorial de la Shoah à Paris, le 14 mai 2024

By Julie CHARPENTRAT, Clara WRIGHT

Paris (AFP) - Les policiers qui enquêtent sur les "mains rouges" taguées sur le Mémorial de la Shoah à Paris, creusent la piste de trois suspects en fuite à l'étranger, sur fond de soupçons de manipulation étrangère.

Dans la nuit du 13 au 14 mai, 35 tags représentant des mains rouges ont été peints sur le Mur des Justes, à l'extérieur du Mémorial, où sont apposées des plaques portant les noms des 3.900 hommes et femmes qui ont contribué à sauver des Juifs pendant la Seconde Guerre mondiale.

Une enquête a été ouverte pour dégradations volontaires sur un bien classé et en raison de l'appartenance à une nation, ethnie, race ou religion.

La vidéosurveillance a permis aux policiers de la Sûreté territoriale de Paris de repérer trois suspects et de "retracer (leur) cheminement" jusqu'à un hôtel parisien, dans le XXe arrondissement, "puis leur départ vers la gare routière de Bercy et leur départ pour la Belgique", a indiqué mercredi le parquet de Paris, confirmant une information du Canard enchaîné.

"Les investigations ont également établi que les réservations avaient été effectuées depuis la Bulgarie", a ajouté le parquet, sans préciser davantage la teneur de ces réservations ni s'avancer sur la nationalité des intéressés.

L'enquête, qui se poursuit en préliminaire, porte aussi sur "plusieurs dizaines de tags similaires dans les IVe et Ve arrondissements de la capitale" selon le parquet.

La vandalisation a suscité une vive indignation, dans la communauté juive, et jusqu'au sommet de l'Etat, alors que la symbolique des "mains rouges" taguées avait déjà été au coeur d'une polémique fin avril.

Emmanuel Macron avait ainsi dénoncé "l'atteinte à la mémoire" des victimes de la Shoah et des Justes et promis une République "inflexible face à l'odieux antisémitisme".

Ces tags avaient aussi engendré une déferlante de messages sur le réseau social X, interpellant le président, selon le collectif Antibot4Navalny, qui traque les ingérences numérique du Kremlin.

\- "Bots" -

L'une de ces publications dénonçait "un acte de haine qui ne devrait pas rester impuni". "M. Macron, où est votre engagement contre l'antisémitisme ?", était-il encore écrit, selon Antibot4Navalny.

Des messages quasiment identiques postés simultanément par comptes aux allures de "bots" (comptes automatiques créés à la chaîne relayant du contenu sur les réseaux sociaux), une méthode que l'on retrouve dans des campagnes de désinformation et/ou d'ingérence étrangère.

Ils renvoyaient, via un lien, à un texte appelé "éditorial" publié sur un site internet présenté comme un site d'informations culturelles.

Ce texte, daté du 15 mai, accusait le président français d'inaction face au "problème d'insécurité dans le pays".

Le nom de domaine du site internet fait partie des noms de domaine que Meta (maison mère de Facebook) avait déterminé l'an dernier comme l'un des nombreux sites utilisés lors de la vaste campagne d'ingérence et de désinformation repérée en 2023 et baptisée "Doppelgänger" ("Sosie" en allemand).

Cette campagne consistait à imiter l'identité visuelle de médias occidentaux pour diffuser de la désinformation prorusse.

\- "Commanditaires payés" -

En octobre, la découverte d'étoiles de David taguées sur des immeubles en région parisienne avait fait craindre en France une contagion du conflit israélo-palestinien. Mais l'affaire, pour laquelle un couple de Moldaves a été interpellé, a finalement été imputée par les autorités françaises aux services de sécurité russes (FSB).

Dans les deux cas, ce sont "des commanditaires payés pour déstabiliser et appuyer sur les clivages de la société française", a estimé le ministre des Affaires étrangères français, Stéphane Séjourné, lors d'une conférence de presse à Weimar en Allemagne.

Il a appelé à dénoncer ces "manœuvres de déstabilisation" tout en attendant les "résultats de l'enquête" judiciaire.

Les campagnes d'ingérences étrangères reposent systématiquement sur le même principe consistant à jeter de l'huile sur le feu sur des sujets clivants dans les pays occidentaux et à accuser leurs dirigeants d'inaction.

Pour le président du Crif, Yonathan Arfi, "instrumentaliser ou mettre en scène des actes antisémites en France est en soi une démarche hostile à la fois aux Juifs et à la France tout entière".

"Que ces actes aient été commandités de l'étranger ne retire donc rien à leur caractère antisémite et l'outrage à la Mémoire de la Shoah est malheureusement inchangé", a souligné auprès de l'AFP M. Arfi.

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