Le parquet requiert le renvoi aux assises de l'ex-anesthésiste Péchier pour 30 empoisonnements

Frédéric Péchier arrive au palais de justice de Besançon, le 8 mars 2023

By Angela SCHNAEBELE

Besançon (France) (AFP) - Un dossier "sans équivalent dans les annales judiciaires françaises": le parquet a requis jeudi le renvoi devant les assises du Doubs de l'ancien anesthésiste Frédéric Péchier, pour les empoisonnements de 30 patients, dont 12 mortels, dans des cliniques de Besançon, sur la base d'un important faisceau de preuves, malgré les dénégations du praticien.

"Le parquet a requis le renvoi de Frédéric Péchier pour les 30 empoisonnements présumés correspondant à la totalité des cas pour lesquels il était mis en examen", a déclaré le procureur de la République de Besançon, Etienne Manteaux, lors d'une conférence de presse.

"Les faits pour lesquels il est mis en examen n'ont rien à voir avec des faits d'euthanasie. Ce qui lui est reproché, c'est d'avoir empoisonné des patients en bonne santé, pour nuire à des collègues avec lesquels il était en conflit", a souligné le magistrat, estimant qu'il s'agissait d'une "procédure réellement sans équivalent dans les annales judiciaires françaises".

L'ancien anesthésiste, 52 ans, est soupçonné d'avoir pollué, entre 2008 et 2017, les poches de perfusion de patients dans deux cliniques privées de Besançon pour provoquer des arrêts cardiaques puis démontrer ses talents de réanimateur, mais aussi pour discréditer des collègues avec lesquels il était en conflit.

Le procureur a insisté sur "l'aspect atypique et hors du commun des charges qui pèsent sur le mis en examen".

"Sept ans et quatre mois (depuis le début de l'affaire), cela peut paraître bien évidemment particulièrement long mais cette durée s'explique par l'extraordinaire, je pèse mes mots, l'extraordinaire complexité des faits portés à la connaissance du parquet", a ajouté M. Manteaux, rappelant avoir été saisi à l'origine pour 77 événements indésirables graves (EIG).

\- Interventions bénignes -

Au final, l'anesthésiste a été mis en examen de façon définitive pour 30 cas, dont 12 mortels. Pour deux autres cas, faute de charges suffisantes, M. Péchier a été placé sous le statut plus favorable de témoin assisté. La procédure représente 27.000 pages: feuillets d'auditions, expertises...

L'affaire avait débuté lorsqu'une anesthésiste d'une clinique bisontine avait donné l'alerte après trois arrêts cardiaques inexpliqués de patients en pleine opération.

Dans la grande majorité des cas, les expertises ont jugé qu'il existait des "suspicions fortes" - dans quelques cas des "certitudes" - que des substances en doses parfois létales avaient été administrées aux patients venus se faire opérer dans les deux cliniques de Besançon où officiait M. Péchier, souvent pour des interventions bénignes.

Parmi les produits retrouvés en surdosage dans les analyses pratiquées sur des patients dont certains, décédés, ont dû être exhumés: de la lidocaïne, un anesthésique local, ou encore du potassium.

Des doses de potassium "100 fois supérieures" à celles attendues ont ainsi été retrouvées chez une patiente d'une trentaine d'années, notent les experts. Un enfant de 4 ans avait également fait un arrêt cardiaque et passé deux jours dans le coma.

Selon M. Manteaux, les enquêteurs ont recensé 1.514 personnes susceptibles d'avoir eu accès aux salles d'opération entre 2008 et 2017. "Sur ces 1.514 personnes, Frédéric Péchier est la seule personne qui a été présente dans ces établissements, aux périodes où les 30 empoisonnements présumés ont été constatés".

\- "Personnage charismatique" -

"Frédéric Péchier était le primo intervenant quand survenait un arrêt cardiaque", a poursuivi le magistrat. Selon ses collègues, "il avait toujours la solution", "se prenait pour le meilleur", la star des anesthésistes de Besançon. "Il s'était créé un vrai personnage charismatique de sauveur".

"Dans les empoisonnements où les patients sont décédés, il était en conflit plus marqué avec les collègues auxquels ça arrivait", a également noté le procureur.

M. Manteaux a par ailleurs rappelé que l'anesthésiste "avait en 2014 ingéré des produits morphiniques" et qu'il avait déclaré à un psychologue qu'il consultait alors "qu'il s'ennuyait dans son travail, qu'il s'ennuyait plus généralement dans sa vie".

Après avoir gardé le silence durant plusieurs interrogatoires, Frédéric Péchier avait incriminé lors d'une de ses auditions ses anciens collègues, assurant que la majorité des EIG résultaient "d'erreurs médicales" de leur part.

Pour M. Péchier, l'unique cas d'empoisonnement avéré s'est produit lorsqu'il avait anesthésié lui-même un patient, en janvier 2017. "Il a désigné celui qu'il pensait être l'auteur de cet empoisonnement, un de ses collègues (...) avec lequel il était en conflit pour des motifs personnels", selon le procureur.

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