Mexique: la "presidenta" face au défi des Etats-Unis et des marchés

Claudia Sheinbaum célèbre les résultats des élections générales mexicaines, le 3 juin 2024 à Mexico

By Daniel Rook

Mexico (AFP) - La première femme élue présidente du Mexique, Claudia Sheinbaum, dont l'écrasante victoire dimanche pourrait être officialisée ce week-end, est confrontée à deux défis de taille: la relation avec les Etats-Unis et la pression des marchés.

La candidate de la gauche au pouvoir, élue avec près de 60% des voix selon les résultats partiels, attend les élections de novembre aux Etats-Unis pour savoir avec qui elle va gérer une relation bilatérale d'une intensité sans pareille (commerce, drogue, migration).

"Elle a deux plans: l'un avec (le président démocrate sortant) Joe Biden, l'autre avec (le républicain) Donald Trump", affirmait peu avant l'élection un poids lourd de son équipe, l'ex-ministre des Affaires étrangères Marcelo Ebrard.

L'ex-maire de Mexico, qui maîtrise bien l'anglais, pourrait être "une rude opposante" dans ses négociations avec Washington, avance Duncan Wood, un expert du centre de réflexion Mexico Institute aux Etats-Unis.

La relation pourrait être d'autant plus tendue en cas de retour de Donald Trump à la Maison Blanche. "Je crois qu'il pense qu'il peut la pousser dans ses retranchements et elle devra avoir la colonne vertébrale solide pour éviter cela", d'après Pamela Starr, professeure à l'Université de Californie du Sud.

"Trump est énigmatique", tempère l'expert Duncan Wood. "Il avait réussi à forger une relation très positive avec AMLO (initiales et surnom du président sortant Andres Manuel Lopez Obrador), malgré leurs énormes différences".

Claudia Sheinbaum a plaidé pendant sa campagne pour "une relation d'amitié, de respect mutuel et d'égalité" avec les Etats-Unis, et s'est engagée à défendre "les Mexicains qui se trouvent de l'autre côté de la frontière".

\- Majorité des deux tiers -

Mme Sheinbaum, héritière politique d'AMLO, "va continuer à utiliser la migration comme un objet de marchandage", d'après M. Wood.

Le discours de la nouvelle présidente "suggère qu'elle pourrait défendre des politiques migratoires plus humaines", selon Maria Fernanda Bozmoski, directrice adjointe du Atlantic Council's Adrienne Arsht Latin America Center, un centre de réflexion établi aux Etats-Unis.

Avec une majorité des deux tiers à la chambre basse et sans doute au Sénat, Claudia Sheinbaum "pourrait être plus difficile à convaincre que Lopez Obrador ne l'a été", ajoute-t-elle à l'AFP.

Juste après le scrutin présidentiel, le gouvernement Biden a annoncé un durcissement de sa politique migratoire, avec un décret qui empêchera les migrants entrés illégalement sur le territoire américain de bénéficier du droit d'asile lorsque leur nombre dépasse les 2.500 par jour.

Des migrants rencontrés à Mexico espèrent que Mme Sheinbaum pourra leur rendre la vie plus facile. Carmen Chacon, une Vénézuélienne de 23 ans qui voyage avec son mari et ses deux enfants, implore la nouvelle présidente de faire "son possible pour aider les migrants". "Nous ne voulons pas rester là. Nous sommes juste de passage", ajoute-t-elle.

\- Drogues, économie -

Washington fait pression sur le Mexique pour lutter contre le trafic de fentanyl, drogue de synthèse qui provoque des dizaines de milliers d'overdoses sur son sol.

M. Wood pense que la Maison Blanche et le Congrès vont exercer "une énorme pression" sur le Mexique, "particulièrement dans une année électorale".

L'économie est un autre enjeu fondamental dans la relation bilatérale. Le Mexique a remplacé la Chine comme premier partenaire commercial mondial des Etats-Unis, destinataires de 80% de ses exportations.

Etats-Unis, Mexique et Canada doivent par ailleurs réviser en 2026 le traité de libre-échange qui les unit.

Des tensions sont possibles avec le Mexique si Mme Sheinbaum profite de sa large majorité à la Chambre des députés et au Sénat pour lancer des réformes qui peuvent préoccuper les investisseurs étrangers.

Sous le mandat de M. Lopez Obrador, un projet de réforme de l'énergie destiné à renforcer le secteur public avait braqué les Etats-Unis, estimant qu'il menaçait les investissements privés américains.

Après l'élection de la candidate de gauche dimanche, la bourse de Mexico a reculé de 4% en une semaine, "son pire résultat depuis fin 2022", d'après le site d'information Expansion.

Mme Sheinbaum a reçu cette semaine Sergio Mendez, le représentant pour le Mexique du premier gestionnaire d'actifs au monde, BlackRock.

"Ils s'engagent à augmenter les projets d'investissement au Mexique", s'est enthousiasmée sur X jeudi Mme Sheinbaum, publiant une photo de la rencontre.

© Agence France-Presse