Le virage à droite et le recul des Verts signifient-ils la fin du Pacte vert ?

Manfred Weber, leader du Parti populaire européen victorieux, face à la presse le soir des élections européennes, le 9 juin 2024. ©Denis LOMME/ European Union 2024 - Source : EP

Avec un nouveau Parlement européen plus à droite à l’issue des élections européennes, les spéculations vont bon train concernant l'avenir du Pacte vert européen. Cet ensemble de textes représente l'ambitieux programme de la Commission européenne d’Ursula von der Leyen pour atteindre la neutralité carbone d'ici 2050 et inverser le recul de la biodiversité.

Les conservateurs et l'extrême droite, des groupes politiques qui se sont montrés sceptiques, voire hostiles au Pacte vert, ont gagné des sièges dans de nombreux pays, au détriment du groupe libéral Renew et des Verts. Ce nouvel équilibre devrait donner lieu à un débat intense sur la mise en œuvre effective des politiques vertes au cours de la prochaine législature.

Pour Chris Rosslowe, analyste principal de données au sein du groupe de réflexion Ember Climate, la perte de 18 des 71 sièges des Verts au Parlement européen ne signifie pas nécessairement un "rejet généralisé" de l'action climatique. Il attribue ce résultat au recul de la "vague verte" de 2019, principalement en France et en Allemagne, et à "une combinaison de facteurs nationaux". Mais il note que les sondages "montrent constamment un soutien" à l'action climatique à travers l'Europe.

"Je suis convaincu que nous n'assisterons pas à un renversement du Pacte vert, en particulier les aspects liés à la transition énergétique, qui sont fermement dans la phase de mise en œuvre", estime Chris Rosslowe. "Des dossiers clés tels que la directive sur les énergies renouvelables ont déjà un impact mesurable, l'année dernière a vu des ajouts records d'énergie éolienne et solaire".

Un fonctionnaire de l'UE qui a souhaité garder l’anonymat, observe que les partis politiques qui ont formé les majorités pour l'adoption du Pacte vert sont toujours "largement dans la même position" qu'ils l'étaient dans le Parlement précédent.

"Ces partis n'ont pas remis en question l'accord de Paris ou la loi européenne sur le climat, qui est à l'origine de nos politiques", explique cette source.

Une analyse partagée par la directrice de Strategic Perspectives. Linda Kalcher constate que la majorité sortante au Parlement européen peut être reconduite dans le nouvel hémicycle et que les trois partis concerné, le Parti populaire européen (PPE), les sociaux-démocrates (S&D) et les libéraux de Renew ont des intérêts dans la poursuite du Pacte vert.

"Nous voyons clairement que les partis conservateurs européens et le PPE veulent vraiment renforcer la compétitivité industrielle. Ils sont préoccupés par les menaces de la Chine et des Etats-Unis, qui ont des politiques et des investissements très agressifs", constate Linda Kalcher.

"Nous constatons que l'emploi industriel est un sujet clé pour les syndicats, qui ne veulent plus de mesures d'austérité. Ils pensent qu'il faut investir ici, fabriquer ici, créer de emplois de qualité ici, ce qui est essentiel pour les sociaux-démocrates. Et puis il y a Renew qui veut vraiment être leader sur le marché et qui voit que c'est dans les batteries, les véhicules électriques, les électrolyseurs et l'énergie éolienne que se trouvent les marchés en croissance", ajoute-t-elle.

Lors de leur première réunion de groupe depuis les élections, mercredi (12 juin), les principaux eurodéputés verts ont exprimé leur volonté de rejoindre une large coalition de partis politiques centristes en échange d'un soutien à Ursula von der Leyen dans sa tentative d'obtenir un second mandat à la présidence de la Commission européenne, même si cela implique de faire des compromis sur certaines des positions les plus ambitieuses de leur manifeste.

Andreas Rasche, professeur à l'école de commerce de Copenhague, rejette l'idée selon laquelle l'Union européenne serait sur le point de faire volte-face en matière de politique environnementale.

"Nous devrions assister à un ralentissement de l'élaboration de politiques vertes et à une législation moins ambitieuse", juge Andreas Rasche, soulignant que plusieurs lois ont déjà été affaiblies, telles que les nouvelles lois sur le devoir de diligence des entreprises en matière de développement durable et sur les emballages et les déchets d'emballage.

Il y a aussi la loi sur la restauration de la nature, déjà adoptée par le Parlement mais bloquée par une minorité d'Etats membres. La présidence belge sortante du Conseil de l'UE l'a inscrite à l'ordre du jour de la réunion lundi (17 juin) des 27 ministres en charge de l’Environnement, dans l'espoir d'une avancée de dernière minute avant que la Hongrie ne prenne les rênes de l'UE en juillet pour le second semestre.

Même son de cloche de la part de l’ONG CAN Europe (Climate Action Network). "Je pense qu'il y a un risque que nous allions trop lentement, tout d'abord, et que nous ayons encore ce mode de déréglementation dans le discours", analyse Chiara Martinelli, directrice de l’ONG.

Les chefs de gouvernement devraient adopter le prochain agenda stratégique quinquennal de l'UE lors d'un sommet européen les 27 et 28 juin, un document non-législatif qui est néanmoins destiné à guider l'élaboration des politiques de la prochaine Commission. Andreas Rasche s'attend à ce que l'accent soit mis non plus sur les questions environnementales, mais sur les préoccupations en matière de sécurité et de compétitivité, conformément aux vents géopolitiques dominants et aux fuites sur les premières versions du document.

Néanmoins, malgré un appétit apparemment plus faible pour de nouvelles actions poussées du Pacte vert, le professeur juge "improbable" un renversement à grande échelle de la série de législations sur le climat, l'énergie et l'environnement déjà mises en place au cours des cinq dernières années, et qui attendent maintenant d'être mises en œuvre.

L'universitaire souligne toutefois les exceptions qui pourraient être soumises à une "pression significative", notamment l'interdiction de facto de la vente de nouvelles voitures à essence et diesel à partir de 2035 et l'objectif de 2040 pour les émissions de gaz à effet de serre. La loi sur le climat exige l'adoption d'un objectif intermédiaire sur la voie de l'objectif de neutralité carbone d'ici 2050, mais il reste à voir s'il y aura un soutien politique pour une réduction d'au moins 90 % par rapport aux niveaux de 1990, comme le recommandent les scientifiques de l'UE et l’actuelle Commission.

S'adressant aux journalistes mercredi, l'eurodéputé vert néerlandais Bas Eickhout a souligné la symbiose entre la poursuite de la transition énergétique et la garantie de l'avenir de l'industrie manufacturière européenne. "*Nous avons également présenté notre vision \[d'une\] stratégie industrielle verte européenne, et c'est aussi, volontairement, une sorte d'objectif que nous aimerions voir*"\.

Le co-dirigeant de la campagne électorale des Verts a également souligné une arme secrète que le parti a obtenue lors des élections, en la personne du commissaire en charge de l'Environnement sortant, Virginijus Sinkevičius, qui a été élu député européen.

"C'est un eurodéputé puissant que nous avons ici", souligne Bas Eickhout lorsqu'Euronews lui a demandé si son parti espérait orienter le nouvel élu lituanien vers la présidence de la commission parlementaire de l'environnement. "Nous allons donc en discuter".

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