L'UE va-t-elle scanner toutes vos images en ligne pour lutter contre les abus sexuels sur les enfants ?

L'application WhatsApp sur l'écran d'un smartphone. ©Focal Foto, Copyright 2022

Les ambassadeurs réunis à Bruxelles pourraient approuver la formulation d'un règlement visant à protéger les enfants en ligne qui obligerait les services de messagerie cryptés tels que WhatsApp et Messenger à inclure une technologie de surveillance qui scannerait les images de tous les utilisateurs.

Cette technologie — connue sous le nom de "upload monitoring" — fait partie d'un compromis visant à sortir de l'impasse dans laquelle se trouvent les négociations prolongées sur le règlement relatif aux abus sexuels commis sur les enfants (CSAM).

Les négociations sur le projet de règlement, initialement proposé en 2022, ont été entravées par des divisions entre les pays et le Parlement européen sur la mesure dans laquelle la solution pourrait contourner les communications cryptées de bout en bout —une technologie dans laquelle seuls l'expéditeur et le destinataire peuvent lire les messages — avec des craintes que la proposition puisse bafouer les libertés civiles et permettre une surveillance de masse.

La "modération du téléchargement" a été présentée en mai par la présidence belge de l'UE et constitue la dernière tentative en date pour trouver une solution de compromis. Nous examinons ce qu'offre cette solution de compromis et quelle est la position des parties.

Photos, vidéos et URL surveillés ?

Le nouvel amendement obligerait les services de messagerie cryptée, tels que WhatsApp, Messenger, Signal ou Telegram, à intégrer une technologie de scan dans leurs systèmes afin de surveiller les photos, les vidéos et les URL. Ces scanners analyseraient le contenu pour détecter les images d'abus sexuels sur des enfants et les signaler aux autorités.

Les utilisateurs se verraient proposer une fenêtre contextuelle leur permettant de consentir à l'analyse, mais en cas de refus, le service serait réduit : les messages textuels pourraient toujours être envoyés, mais pas les photos, les vidéos ou les URL.

Pourquoi l'amendement a-t-il été introduit ?

L'amendement a été présenté par la présidence belge le 28 mai afin de sortir de l'impasse dans laquelle se trouvaient les négociations sur le règlement relatif aux abus sexuels commis sur des enfants. Les débats entre les diplomates des 27 États membres se sont polarisés entre les défenseurs de la vie privée et ceux qui donnent la priorité à la sécurité, bloquant les progrès pendant des mois, une majorité de blocage s'opposant à tout compromis sur le chiffrement.

Pour en savoir plus sur le chiffrement et les oppositions au sein du Conseil, cliquez ici(en anglais).

Les Belges ont proposé la modération en amont comme compromis, car elle n'affecterait pas techniquement le cryptage. Le contenu serait analysé avant d'être envoyé, ce qui signifierait que le message lui-même resterait crypté. Plusieurs pays, dont la France, se sont opposés à toute proposition qui porterait atteinte au cryptage, et l'amendement a permis de faire avancer les négociations.

Pourquoi la modération des téléchargements est-elle controversée ?

Les critiques mettent en garde contre un glissement potentiel vers la surveillance de masse : "Nous sommes au bord d'un régime de surveillance aussi extrême que celui que nous connaissons dans le monde libre. Même la Russie et la Chine n'ont pas réussi à mettre en place des mouchards dans nos poches comme l'UE a l'intention de le faire", selon Patrick Breyer, député européen allemand du Parti Pirate.

Callum Voge, défenseur de la vie privée au sein de l'Internet Society, abonde dans le même sens en déclarant à Euronews que "la formulation de compromis proposée [...] ouvrira toujours la porte à une surveillance de masse illégale et sapera la valeur du cryptage de bout en bout en tant qu'outil de sécurité et de protection de la vie privée". Le service juridique du Conseil de l'UE a même exprimé des doutes quant à la compatibilité du texte proposé avec les lois sur les droits de l'homme qui interdisent la surveillance générale.

Les associations professionnelles se sont également interrogées sur la faisabilité de la proposition dans la pratique. "La proposition erronée de la Belgique risque de générer un grand nombre de faux positifs et de bloquer excessivement des utilisateurs innocents. Elle pourrait également submerger les systèmes de signalement des forces de l'ordre", a averti Claudia Canelles Quaroni, responsable politique à la CCIA, la principale association commerciale représentant les entreprises de communication et de technologie.

Ella Jakubowska, responsable de la politique de l'EDRi (European Digital Rights), un groupe international de défense des droits, a décrit cette technologie comme "largement rejetée par les experts comme équivalant à un logiciel espion — essentiellement la construction d'une porte dérobée dans l'appareil de chaque personne, que les pirates, les abuseurs et d'autres acteurs malveillants peuvent exploiter".

Dans une lettre de sa présidente, Meredith Whittaker, l'application de messagerie Signal a exprimé son opposition à la modération des téléchargements, arguant qu'elle "créerait une vulnérabilité pouvant être exploitée par des pirates et des États-nations hostiles, en supprimant la protection des mathématiques inviolables et en la remplaçant par une vulnérabilité de grande valeur". M. Whittaker a également menacé d'interrompre les activités de Signal dans l'Union européenne si la règle était appliquée.

Quand la modération des téléchargements sera-t-elle adoptée ?

Si les ambassadeurs se mettent d'accord, cela ouvrira la voie au début des négociations entre le Parlement européen, la Commission et le Conseil, connu sous le nom de "trilogue". L'adoption formelle ne devrait pas intervenir avant l'automne 2024, car le nouveau Parlement doit être installé et la présidence hongroise du Conseil — la Hongrie remplace la Belgique dans ce rôle à partir de début juillet — devra organiser des réunions du trilogue.

Lors de la présentation des priorités de sa présidence hier (18 juin), la Hongrie s'est engagée à "travailler à l'élaboration d'une solution législative à long terme pour prévenir et combattre les abus sexuels en ligne sur les enfants, et à la révision de la directive contre l'exploitation sexuelle des enfants".

Les discussions en cours devraient être intenses, étant donné que le Parlement a exclu tout contournement du cryptage de bout en bout.

Les États membres et le Parlement ont jusqu'à avril 2026 pour parvenir à un accord, après quoi une exemption permettant aux réseaux sociaux d'auto-modérer le contenu expirera, ce qui pourrait ne laisser aucun obstacle au partage d'images sensibles.

© Euronews